Adam ne s'endormait pas. Il ne pleurait pas, comme toujours, mais je le gardais contre moi. Assis sur le canapé, je tenais le nourrisson d'une main et le cahier rédigé par Till de l'autre.
J'étais
dans le camion de maquillage avec Flake. Lou avait décidé de faire
la séance photos dans un hôpital psychiatrique abandonné depuis
les années 1960, dans la banlieue berlinoise. Notre premier costume
consistait a être en chemise et caleçon blanc, ainsi qu'avec des
chaussettes et les porte-chaussettes... Autant dire qu'on allait à
mourir de froid dans ce bâtiment glacial dont toutes les fenêtres
avaient été brisées.
-
Alors, tu retente le coup avec Petra ? demanda Flake.
- Oui.
-
Comment cela se fait-il ?
-
Comment ça ?
- Et
Lou ?
-
Oh... C'était juste comme ça...
Flake
resta un moment silencieux. J'avais l'impression d'être interrogé
par la Stasi... Je savais que j'étais coupable mais n'avais aucune
envie de l'avouer.
- Tu
disais ressentir des choses pour elle...
- Oui,
mais j'ai bien fait de ne rien dire, et de ne pas me laisser aller à
ces sentiments. Ils n'étaient pas partagés. Et c'est sans doute
moins compliqué comme cela... Puis rien ne m'oblige à me justifier.
-
Comment sais-tu qu'elle ne ressent rien ?
-
Quand elle a su pour Petra et moi, elle m'a souhaitait d'être
heureux avec elle...
La
conversation concernant Lou s'arrêta là. Pour le moment, car je
sentis que l'affaire n'était pas close pour Flake et qu'il avait
encore des questions à me poser. Il avait beaucoup d'intuition quant
aux sentiments humains, il savait très bien percer les autres à
jour, se trompant très rarement.
Nous
étions les deux derniers à sortir du maquillage. Je n'avais pas
encore croisé Lou qui avait déjà fait les photos individuelles de
Richard, Ollie et Paul. Elle était entrain de terminer avec
Schneider. Flake et moi saluions les trois premiers à avoir terminé.
Schneider nous rejoint au bout de quelques minutes. Il riait, ce qui
était très surprenant, il détestait au plus haut point les séances
photos d'habitude.
- Ca
va ? lui demanda Flake.
- Très
bien, répondit Schneider. Cette femme est extraordinaire, c'est la
première fois de ma vie que je prends plaisir à faire des photos !
D'ailleurs, c'est à ton tour Flake, elle t'attends dans le montée
d'escaliers.
Schneider
enfila un peignoir pour se réchauffer et s'assit à côté de moi.
-
Alors ? Grande nouvelle ! s'exclama-t-il.
-
Comment cela ? demandai-je.
- Ne
fait pas l'innocent ! Petra et toi, voyons...
-
Ouais...
- J'ai
le vague souvenir de toi entrain de jurer ne plus vouloir de cette
femme dans ta vie, intervint Richard qui semblait de mauvaise humeur.
Je
détestait quand il avait cette attitude. Je répondis sur la
défensive, estimant que je n'avais pas à me justifier :
-
Seuls les imbéciles ne changent pas d'avis...
Paul
qui détestait ce genre de conflit s'empressa de changer de sujet. Je
lui en étais tellement reconnaissant, car je n'avais aucune envie de
me disputer avec qui que ce soit ni continuer sur le sujet Petra.
Flake
fit son apparition un vingtaine de minutes plus tard. Je rejoignis
Lou dans les escaliers, glauques et glacials, de cette vieille
bâtisse. J'avançais vers elle, elle me tournait le dos.
-
Salut, dis-je alors qu'elle se retournait vers moi.
-
Guten Tag, répondit-elle. Tu es prêt ?
Le
« Guten Tag » en réponse à mon « Hallo »
mit immédiatement un distance entre elle et moi. Ce n'était rien,
elle disait souvent « Guten Tag ». « En fraçais on
est beaucoup moins à l'aise avec le « salut » sue le
« bonjour » »avait-elle dit un jour. Mais dans la
situation présente...
Nous
commencions par les prises de plein pied en plongée et contre
plongée dans la montée d'escalier. Je prenais les poses comme je le
sentais, elle me faisait parfois déplacé un main, modifier l'angle
de mon visage ou la direction de mon regard. Pour être complètement
franc, je me sentais mal à l'aise, un peu ridicule dans cette tenue
et troublé par Lou que je trouvais encore plus séduisante que dans
mon souvenir. Mon cœur battait fort dans ma poitrine, et un boule me
nouait le gorge. Je n'avais rien ressentis de tel. Lou termina par
des portraits.
Elle
appela Richard sur son portable pour demander de tous nous rejoindre
afin de faire les photos en groupe. Je la suivis dans une salle où
se trouvait une sorte de vieille chaise de dentiste et des lits en
fer blanc. Elle donna quelques instructions à lassistant qui
s'occupaient du matériel, puis en attendant l'arrivée des autres,
elle regarda les clichés qu'elle venait de prendre sur le petit
écran de son appareil. La tension entre nous été palpable. Je
ressentais à la fois de la gène et une attirance indescriptible.
J'accueillis l'arrivée des autres avec soulagement.
Après
une trentaine de minutes passées en caleçon dans le froid, nous
fîmes une pause avant d'enfiler des costumes plus chaudes, de style
années 1930. Nous arpentions les différentes salles pour prendre
des photos de groupe. Nous nous retrouvions sur le toit, Lou prit
encore des clichés de nous six, puis en petits groupes puis elle fit
des portraits. Elle terminait avec Schneider qu'elle avait fait
assoir sur un bloc de béton.
-
Tiens ton col contre ton visage, lui dit-elle.
-
Comme ça ?
- Oui.
Attends...
Elle
s'approcha de lui et lui passa la main dans le cheveux pour les
ramener sur son front. Cette proximité soudaine qu'il y eu entre eux
deux déclencha en mois une vague de jalousie que je contins en
serrant les dents. Je savais qu'il s'agissait d'un geste
professionnel, mais j'étais comme cela, jaloux et possessif.
-
Regarde l'objectif, s'il te plait, disait Lou.
Je
m'éloignai, s'en était trop pour moi. Flake me rejoint.
-
Alors ? demanda-t-il.
-
Alors quoi ?
- Ce
n'est pas trop difficile de travailler avec elle ?
-
Pourquoi est-ce que cela le serait ?
-
Après ce qu'il s'est passé entre vous...
- On
est grand, rétorquai-je, on fait comme si rien ne s'était passé.
On a reprit notre relation comme elle était avant... j'hésitai.
Avant de coucher ensemble.
-
C'est faux, affirma Flake, et tu le sais très bien. Vous ne vous
adressez même plus la parole.
Je
sentais la colère monter en moi. Qu'est-ce qu'il pouvait faire
chier ! Une fois de plus, il avait pointé du doigt ce qui
n'allait pas et je n'avais aucun argument pour me défendre.
Alors
que nous nous dirigions tous vers les camions pour nous changer et
nous démaquiller, Schneider nous rappela que Sarah et lui nous
attendaient, nous et nos compagnes, chez eux pour fêter
l'anniversaire de sa belle.
- Tu
viens aussi, n'est-ce pas ? demanda-t-il à Lou.
- Oh,
je ne veux pas m'imposer, répondit-elle gênée. Puis je vais bosser
sur les clichés que nous avons fait aujourd'hui...
- Tu
rigoles j'espère, coupa Schneider. Sarah serait très contrariée
que tu ne vienne pas.
- Je
ne sais pas trop...
- Ce
n'est pas une question. Tu viens c'est tout !
Elle
finit par accepter, de toute manière il était impossible de se
dresser contre Schneider lorsqu'il prenait ce ton autoritaire.
J'allais me retrouver dans une situation délicate. Arriver à cette
soirée au bras de Petra, alors que c'était de Lou dont j'avais
envie, et dont, il fallait se rendre à l'évidence, j'étais
amoureux.
Après cette séance photo, Lou était
en voiture en ma compagnie, nous étions en route pour chez elle afin
qu'elle se change avant de nous rendre chez Schneider.
- Je n'aurais jamais du accepter d'y
aller, dit-elle.
- Si ça ne va vraiment pas tu pourra
toujours prétexter que tu es fatiguée et partir plus tôt...
- Je n'ai vraiment pas envie de la
rencontrer, Elle... En même temps si j'appelle Christoph pour
annuler il va mal le prendre...
- Ca va aller, je suis là...
Elle m'adressa un sourire.
Je frappai et entrai dans sa chambre,
elle était entrain d'attacher son bas au porte jartels. Elle m'avait
dit d'entrer sans réfléchir.
- Wouah !
Elle avait poser son pied sur le lit
et remonter sa robe pour accrocher son bas. Évidement, cette image
eut son petit effet. Je me mis à râler :
- Je sais que tu as tendance à
l'oublier, mais je suis un homme, et ce genre de tableau ne me laisse
pas indifférent, malgré le fait que je te considère comme une
sœur...
- Excuse moi, dit-elle en couvrant ses
jambes.
- Je peux prendre une douche ?
- Fais comme chez toi.
Je regardais le cliché sous verre qui
était posé sur son lit : une photographies de Schneider et
Sarah qu'elle avait prise en Californie l'été dernier. L'image les
représentait dans les bras l'un de l'autre, Schneider ramenant une
mèche des cheveux de Sarah derrière son oreille. L'effet du vent
donnait un léger mouvement à sa robe et ses longs cheveux bruns.
Elle avait prit le cliché sans qu'ils s'en rendent compte, capturant
cet instant plein de tendresse et de beauté. Elle emballa le cadre
dans un papier kraft afin de l'offrir à Sarah.
-File te doucher, on va être en
retard !
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